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Confidences de l'auteur

Le Dernier Paysan Préhistorien

Un film de Sophie Cattoire

L'Âge du renne sous le plancher des vaches, le choc !

La Préhistoire, les peaux de bêtes, la chasse aux mammouths, l'art des cavernes, ça nous paraît loin.

LE DERNIER PAYSAN PRÉHISTORIEN

Peut-être juste parce qu'on a tout oublié. Une longue amnésie, faute d'écrits pour tout fixer.

On avait certes trouvé, en labourant les champs, des éclats de silex drôlement façonnés. On les nomma "pierres de foudre" et on continua à labourer. Jusqu'à ce que de drôles de boîtes crâniennes n'éclatent sous nos coups de pioche. Pas des singes, des hommes, mais pas vraiment à l'image de Dieu, c'est-à-dire à la nôtre. Voilà, le grand voyage vers la Préhistoire venait de commencer. C'était il y a cent cinquante ans, à peu près.

Les fouilles aux squelettes et aux silex taillés firent au début l'objet d'un commerce juteux. Une vraie chasse aux trésors qui attira beaucoup d'antiquaires et de chercheurs en Périgord. Les paysans constituaient la main d'œuvre de cette plongée vertigineuse vers nos origines.

On comprit assez vite que les abris sous roche avaient servi de refuges. Or, qui dit vie, dit mort, et foison de vestiges lithiques et osseux. Mais ce n'était rien à côté des grottes qui allaient, parfois, nous apporter bien plus que des squelettes. Sur leurs parois, des dessins, des peintures, comme des captures d'écran de l'imaginaire de ces fameux ancêtres, si différents, et d'un coup, si familiers.

Sophie Cattoire et Gilbert Pémendrant au Bournat

Sophie Cattoire et Gilbert Pémendrant
rendent hommage à Miss Boyle et à l'Abbé Breuil.

Ces grottes, très rares en réalité, on se mit à en trouver en Périgord, dans la terre des paysans. L'âge du renne sous le plancher des vaches, le choc ! Propulsés propriétaires de sites préhistoriques majeurs, ils devinrent les gardiens de ces précieux sanctuaires.

Au cours du XXe siècle, les paysans, de toute façon en voie d'extinction, cédèrent la place aux autorités compétentes, plus à même, en principe, d'assurer la charge et la protection de ce qu'on appelle dorénavant "Le Patrimoine de l'Humanité".

Il y en a un qui a résisté pourtant, au temps et aux pouvoirs publics. Le dernier, en fait, à posséder et à faire visiter lui-même sa grotte paléolithique ornée.

Il s'appelle Gilbert Pémendrant, il est né le 12 juin 1935 dans la ferme de ses parents à Meyrals, près des Eyzies. Une belle ferme, en bonne partie troglodytique, implantée à l'endroit même où les hommes préhistoriques avaient vécu, sous le rocher.

Gilbert, qui depuis toujours soigne ses vaches aussi belles que des aurochs, n'eut aucun mal à renouer avec ses ancêtres d'il y a 20 000 années, lorsqu'il commença à scruter sa grotte et tous les "tableaux" inamovibles qu'ils lui avaient légués : portraits de famille, scènes de chasse et, déjà, chefs-d'œuvre abstraits.

Sophie Cattoire et Gilbert Pémendrant au PIP

Gilbert Pémendrant et Sophie Cattoire au Pôle international de la Préhistoire
aux Eyzies lors de la venue, le 12 septembre 2010, du Président Sarkozy
à l'occasion de la célébration des 70 ans de la découverte de la grotte de Lascaux.

Au contact des meilleurs préhistoriens qui se sont succédé pour venir dénombrer les merveilles de Bernifal – l'inventaire est passé de 26 à 130 figures en un siècle – Gilbert a tout appris des termes qu'il convient d'employer pour décrire ces figures qui remontent à l'époque "magdalénienne". Puis il s'est mis à les raconter lui-même par le menu au petit nombre de visiteurs qui firent la démarche d'aller voir Bernifal, la grotte sans aucune publicité.

Ses visites sont menées dans le noir et dans la confidence de son bel accent occitan, la langue de son enfance, avec cette lueur dans ses yeux étonnés, comme si c'était à chaque fois la première fois.

Gilbert aime sa grotte. Il est capable d'en faire le tour les yeux fermés, sans rien abimer. D'ailleurs sa famille et lui n'ont strictement rien endommagé depuis la découverte du site par l'abbé Breuil en 1898. Le clan Pémendrant a toujours refusé les fouilles, les éclairages et les aménagements, quels qu'ils soient. Leur protocole de conservation ce fut leur instinct de paysans : protéger la nature, au dehors comme au dedans. Bernifal était tombée entre de bonnes mains.

Quand j'ai visité Bernifal pour la première fois, comme tous ceux qui ont eu ce privilège, je suis tombée en amour pour cette grotte et la façon dont Gilbert sait la partager.

Gilbert Pémendrant - - Sophie Cattoire - Festival Icronos - Bordeaux

Le Dernier Paysan Préhistorien reçoit le prix du meilleur film
pour la recherche créative au Festival Icronos de Bordeaux.

Ce voyage m'a replongée dans les moments les plus forts de mon enfance, près de Louise et Albin, les grands parents que je m'étais choisis, ici en Périgord. Deux êtres humains qui ont vécu toute leur vie en autarcie, sans voiture ni salle de bains. Leur accent, leur finesse, leur humour, leur méfiance aussi, tout était là, intact, chez Gilbert.

Alors, je me suis promis de l'apprivoiser. Ça m'a pris des mois ou plutôt ça m'a donné quantités d'instants rêvés. Je me suis repue du plaisir de le voir, de le retrouver au fil des saisons, au fil des années, pour connaître sa ferme, sa grotte, bref, sa vie, nourrie par ce lien si fort et si simple qu'il entretient avec notre lointain passé, nos racines, nos ancêtres. Sa politesse, son raffinement, sa dignité m'ont définitivement conquise.

Droit dans ses bottes, droit dans sa grotte, Gilbert est un grand monsieur.

Il incarne tout ce que le Périgord a de meilleur et le suivre dans ses journées, à la fois calmes et très remplies, donne du sens à cette vie sur Terre, ce dont personnellement j'ai besoin pour continuer.

Ce contact, cette douceur, j'ai tenu à en témoigner dans un film documentaire.

Gilbert Pémendrant - - Sophie Cattoire - Festival Icronos - Bordeaux

Émilie Bersars et Clémence Rouher de France 3 Périgords venues filmer Gilbert
à l'occasion de l'Award obtenu par Le Dernier Paysan Préhistorien
au Festival Arkaios de Caroline du Sud.

Le portrait du dernier paysan préhistorien du Périgord, j'ai nommé Gilbert Pémendrant.

Un film tourné pour partie dans le noir mais inondé de soleil, passant du dessus au dessous, du plancher des vaches au sanctuaire des bisons, et des bauges d'ours des cavernes à la tanière de Gilbert où, à l'abri du monde, il lit "L'Art des Cavernes", le grand Atlas des grottes ornées paléolithiques françaises où figure en bonne place la grotte de Bernifal :

Ce film d'une durée de 52 minutes est porté par une bande musicale interprétée en acoustique par un groupe folk du Périgord, Lézamidal, qui amène cette joie et cette touche de nostalgie fidèles à l'émotion qui émane de la rencontre avec ce personnage.

Sophie Cattoire

Grand reporter et réalisatrice

FERRASSIE TV