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LA NAISSANCE DE LA PRÉHISTOIRE

Confidences de l'auteur

La Naissance de la Préhistoire

Un film de Sophie Cattoire

LE BIEN, C’EST LE TEMPS (Platon)

Au début en Préhistoire, on est fasciné par les découvertes :

À 50 cm du sol, on peut trouver un Néandertal qui vivait là il y a 50 000 ans (gisement préhistorique de La Ferrassie, Dordogne, France).

Avec le temps, je me suis aperçue que la profondeur se cache parfois en surface. Ces vestiges sous nos pieds permettaient, l’air de rien, d’ouvrir un gouffre sans fond. Voila, la Préhistoire ouvre les portes du temps, en grand.

Et là, quelque chose s’est ouvert en moi.

Alors qu’on cherche toujours un début à tout — l’Univers aurait démarré par un « Big-bang », mais alors, c'était comment le jour d'avant ? — j’ai eu le sentiment que la pensée du néant était un néant de pensée et qu’il était temps d’intégrer l’idée de l’infini, qu’on appelle éternité vers la "fin" et qu’on doit aussi envisager vers le "début".

C’est drôle comme cette idée qui donne le vertige a aussi le pouvoir de libérer. On explose les cadres, on soulève une oppression non dite, larvée, on reprend ses esprits. Ouf ! Alors on commence à percevoir l’infinie lenteur de l’infatigable évolution des espèces, faite de transformations imperceptibles à l’échelle d’une vie. Cette évolution qui fabrique des organismes et des corps si différents et pourtant ramifiés depuis... l'éternité.

Et là, on s’aperçoit que ce qui freine cette compréhension, ou plutôt cette acceptation, ce sont les religions, toutes les religions.


DIEU CRÉA LE MONDE LE 23 OCTOBRE DE L’AN 4004 AVANT JÉSUS-CHRIST

Le film aurait pu s’intituler ainsi, car c’est ce qu’affirmaient l’Église et les savants et qui était pris pour argent comptant jusqu’au milieu du XIXe siècle.

Ce 23 octobre étant un dimanche, l’homme avait été créé la même semaine, le 28, un vendredi. Ce calcul était basé sur le nombre de générations censées nous séparer d’Adam et Ève.

On croit en être sorti à présent. Et pourtant, comme le souligne dans le film Jean-Jacques Hublin, le paléoanthropologue français qui a créé au Max Planck Institut, à Leipzig en Allemagne, rien moins que le Département de l’Évolution Humaine :

« Chercher le premier homme, la première femme, mère de toute l’humanité — ce que font d’une certaine façon les chercheurs qui annoncent avoir exhumé le fossile le plus ancien de notre lignée — c’est encore chercher Adam et Ève ».

De plus, et cette expérience est d’une grande intensité, oser poser la grande question : « Croyez-vous en Dieu ? » à Jean Clottes, illustre préhistorien, humaniste incontesté, et l’entendre répondre en toute sincérité :

« Non, je n’y crois pas du tout. Les religions sont toutes invraisemblables, inconcevables, au sens propre du terme » et percevoir le silence qui s’en suit dans l’auditoire, c’est mesurer à quel point il est difficile, voire insupportable pour beaucoup d’entre nous, d’entendre dire par quelqu’un cette simple phrase « Je ne crois pas ».

Or, la laïcité c’est de pouvoir dire « Je crois » aussi bien que « Je ne crois pas ».

C’est la conclusion et la raison d’être de ce film : permettre à ces deux points de vue de s'exprimer librement, dans le respect mutuel, pour cohabiter en paix.


L’HOMME ANTÉDILUVIEN

J’ai ressenti la nécessité de tourner ce film documentaire car après dix années en Périgord à étudier la Préhistoire dans les livres, les chantiers de fouilles, les conférences, les musées, je bloquais sur le sens du mot "antédiluvien". L’homme antédiluvien est un concept apparu au XIXe siècle avec la reconnaissance des outils de pierre comme artefacts, taillés de main d’homme, et non géofacts, produits par la nature.

Je me disais la chose suivante : si on part du principe qu’il y a eu la création d’Adam et Ève puis le Déluge, qui aurait eu lieu 1500 ans plus tard, toujours selon les estimations des exégètes et les savants, alors, bien sûr, il y avait eu des hommes avant le Déluge biblique. Par conséquent, en quoi le terme d’antédiluvien était-il si novateur, si frondeur ?

C’est une philosophe qui m’a éclairée : Marie-Françoise Aufrère. Il faut dire qu'elle bénéficie d'un accès privilégié avec le sujet. Elle eut pour parrain l'abbé Breuil, ami de son père Léon Aufrère, directeur des Antiquités du Nord Pas-de-Calais Picardie dont il étudia sa vie durant toutes les archives. C'est la véritable histoire de l'émulation scientifique du XIXe siècle dans la vallée de la Somme qu'elle put ainsi approcher au plus près.

C'est elle qui me permit de comprendre la portée hautement subversive du mot « antédiluvien » il y a 150 ans. Il y avait en fait un deuxième piège. Non seulement il fallait admettre Adam et Ève mais en prime, Dieu ayant lavé la Terre de l’humanité pécheresse grâce au Déluge, il fallait les oublier. L’histoire des hommes, selon l’Église, ne commençait par conséquent qu’après le Déluge, avec les fils de Noé.

Alors, si je puis dire, j’y ai vu plus clair et je suis partie à l’aventure, qui est selon moi l’essence même du film documentaire. J’ai contacté les chercheurs en pointe sur le sujet, nous nous sommes rapprochés des lieux où la Préhistoire est née, de la Picardie aux Pyrénées en passant par le Périgord et là — comme portés par une évidence, une actualité — nous nous sommes rendus compte que c’était précisément le bon moment pour réaliser ce projet.


TIMING ET CASTING PARFAITS

À chaque fois, nous fûmes au bon endroit au bon moment avec les bonnes personnes :


L’IRRUPTION DE CRO-MAGNON AU SIÈCLE DE NAPOLÉON

En prime, pour restituer ce drôle de XIXe siècle où se passe notre récit, en fait entre la Révolution française de 1789 et la découverte de Cro-Magnon en 1868, nous avons eu le privilège de pouvoir tourner dans trois lieux mythiques :

L’IPH à Paris, l’Institut de Paléontologie Humaine créé en 1910 par Albert 1er de Monaco, est le premier lieu qui concrétise la prise de conscience de l’ancienneté de l’homme. En clair, le fait qu’il y avait bel et bien des hommes au temps des mammouths. Avant, seuls les animaux anciens étaient recherchés par les paléontologues, les paléoanthropologues n'existaient pas. L’homme était, pensait-on, une création récente n'ayant absolument rien à voir avec le monde animal.

Dès sa création, l’IPH entreprend de rassembler des fossiles humains de plus en plus âgés et inclut peu à peu courageusement, sous ses belles vitrines, les autres grands singes. Son but : déterminer scientifiquement ce qui peut les différencier. Au fond, quelle est la définition de l’homme ? Telle est la question ! Marylène Patou-Mathis, archéozoologue, nous a accueillis dans ce lieu pionnier pour nous exposer les différentes réponses retenues à l’heure actuelle par les scientifiques, selon leur culture et leur mode de pensée.

Le deuxième lieu, c’est le Musée Napoléon à Cendrieux, en Périgord, habité par son arrière-arrière-petit-neveu, le Comte Baudoin-Napoléon de Witt, qui possède les toiles de maîtres et tout le décorum impérial de son illustre aïeul, ainsi qu’une connaissance intime du sujet.

Enfin, pour comprendre comment ce long passé oublié, banni, refoulé, s’était frayé une place dans nos mémoires et nos sociétés, il fallait trouver un musée resté authentiquement dans l’esprit du XIXe siècle. C’est le Musée d'Art et d'Archéologie du Périgord, situé à Périgueux, qui s’est imposé. Les premiers trésors venus du fond des âges y furent déposés aux côtés des œuvres venues du bout du monde et des chefs-d’œuvre des Beaux Arts, patentés. Ce mélange dévolu à offrir une connaissance universelle existe toujours et illustre l’esprit des pionniers, Boucher de Perthes, Christy et Lartet, qui croyaient à l’unité de la race humaine, et qui luttèrent toute leur vie contre l’esclavage, le racisme et l’idéologie de l’infériorité des peuples loin dans l'espace et loin dans le temps. Tous dans le même bateau, tous dans le même musée.

Voila, tout était là pour raconter, sans raccourci trompeur, la façon dont le récit des origines fut confronté aux découvertes scientifique au milieu du XIXe siècle.

Ce film s’intitule "La Naissance de la Préhistoire". Il est en deux parties, la première traite de l’homme antédiluvien en Vallée de la Somme, qui deviendra l’homme préhistorique en Vallée de la Vézère dans la deuxième partie. Il aura, je l’espère, le mérite de nous permettre en ces temps difficiles de reprendre "du poil de la bête", quitte à ne pas caresser "dans le sens du poil" certaines idées reçues où se confondent à dessein textes révélés et documents archéologiques, confusion dramatique qui engendre « au nom de Dieu » la haine et la guerre.

Sophie Cattoire

journaliste grand reporter et réalisatrice

FERRASSIE TV